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Jonathan Corbet, raconte l’histoire de Linux et révèle ce qui a fait son succès en trois décennies d’existence.

Open-Source Summit (Denver) – Lorsque Linus Torvalds a publié en 1991 son annonce désormais légendaire concernant un noyau de système d’exploitation “amateur”, personne n’aurait pu prédire que Linux deviendrait l’épine dorsale de l’informatique moderne.

Lors de l’Open-Source Summit, North America, Jonathan Corbet, rédacteur en chef de LWN et développeur de longue date, a retracé le parcours remarquable du noyau Linux, en soulignant son modèle de développement unique et les défis qui ont façonné son évolution.

“Nous en sommes à un peu plus de 40 millions de lignes de code. Linux est devenu professionnel” dit-il. “Crash des dotcoms en 2000, procès SCO, crise économique mondiale en 2008, pandémie de COVID ; aucun de ces événements n’a eu d’effet sur la vitesse de développement de Linux”.
Comment Linux s’est développé ?

Corbet pense que ce qui a permis à Linux à réussir est son ouverture radicale.

Contrairement au développement centralisé et exclusif d’autres systèmes de type Unix, aujourd’hui largement oubliés, Linux a accueilli les contributions de toute personne désireuse de soumettre du code. Cette ouverture, combinée à la licence GNU General Public License (GPL) 2.0, a favorisé une base de code unifiée et empêché la fragmentation.

“Tout le monde pouvait y participer”, souligne M. Corbet, “et c’est ainsi que Linux a développé une communauté que l’on ne trouvait pas dans d’autres projets open source à l’époque”. Et vous ne la trouverez nulle part ailleurs, même aujourd’hui.

Pendant des années personne n’a pris Linux au sérieux

Bien sûr, pendant des années, personne n’a pris Linux au sérieux. Il était considéré comme un jouet à une époque où la fragmentation d’Unix et la montée en puissance de Windows NT dominaient l’actualité de l’industrie. La sagesse voulait que seules les grandes entreprises puissent créer des noyaux de systèmes d’exploitation. Ce qui laissait peu de place à une initiative communautaire.

Pourtant, comme l’a fait remarquer M. Corbet, Linux illustre le concept d’innovation perturbatrice de Clayton Christensen : une technologie considérée comme inférieure qui mûrit tranquillement jusqu’à ce qu’elle supplante les acteurs établis.

Un autre facteur, a expliqué M. Corbet, est qu’au début des années 1990, les systèmes BSD Unix étaient beaucoup plus mûrs que Linux. Ils étaient capables de faire plus de choses et étaient plus faciles à utiliser. Pourtant, leur modèle permissif de licence BSD a donné lieu à toute une série de forks. Mais aucun d’entre eux n’a atteint la masse critique en termes de communauté de développement ou d’adoption pour dominer Linux.

La puissance de GPLv2

Au lieu de cela, le noyau Linux est resté uni, en partie parce que sa politique de copyright GPLv2 signifie que tout le monde conserve ses droits d’auteur sous la même licence. Cela signifie que personne ne possède Linux. Ou que tout le monde possède Linux. Ce n’est pas un projet d’entreprise. Ce n’est pas quelque chose que quelqu’un peut vous retirer. Et cela fait une énorme différence.

Selon M. Corbet, le succès de Linux s’explique également par le fait que “Linus n’a pas d’orgueil. Il a ouvert la porte à tout le monde. Et quiconque qui pouvait lui envoyer un correctif pouvait participer. Nous avons donc beaucoup accepté. Et nous avons jeté beaucoup de choses. D’une certaine manière, cela semblait être du gaspillage. Mais il n’y avait pas de limites”.

Il ajoute que cette approche a été couronnée de succès à la fin des années 1990, lorsque “Linux a attiré l’attention des géants de l’industrie”. L’investissement d’un milliard de dollars d’IBM en 2001 a marqué un tournant. Le boom de l’Internet a alimenté une bulle Linux, avec des startups et du capital-risque inondant l’écosystème. “Et pourtant, lorsque la bulle a éclaté, le développement du noyau s’est poursuivi sans relâche, soulignant l’indépendance de Linux vis-à-vis d’une seule entreprise mécène”.

Corbet poursuit : “Une grande partie de la structure commerciale autour de Linux s’est autodétruite en l’espace d’un mois en 2000. Mais le développement du noyau Linux n’a pas ralenti. Rien n’a vraiment changé, ce qui a peut-être été la première leçon montrant que Linux est vraiment indépendant de ses entreprises mécènes”.

L’approche modulaire de Linux

Une autre raison du succès de Linux est son approche modulaire. En se concentrant uniquement sur le noyau et en laissant les utilitaires et les distributions à d’autres, cela a accéléré l’innovation et permis une expérimentation parallèle. M. Corbet a cité l’émergence des clusters Beowulf à la fin des années 1990. En assemblant des PC de base fonctionnant sous Linux pour créer des superordinateurs, Linux a commencé son ascension comme seul système d’exploitation de superordinateur. Mais aussi comme système d’exploitation dominant dans les centres de données et les cloud d’aujourd’hui.

M. Corbet se souvient : “Je travaillais dans un centre de supercalculateurs à l’époque. Je leur ai demandé de jeter un œil aux clusters Beowulf. Ils m’ont répondu : “Non, non, nous avons ces Cray ici, et c’est tout ce dont nous aurons besoin.”

“Aujourd’hui, on ne parle plus vraiment de clusters Beowulf, pour une raison simple. Nous les appelons simplement des centres de données”.

Tous ces développements se faisaient sur des listes de courrier électronique. Aujourd’hui, la quasi-totalité du développement de Linux se fait sur la Linux Kernel Mailing List (LKML). Parfois, les anciennes technologies sont les meilleures.

À partir du premier Linux Kernel Summit qui s’est tenu à San Jose, en Californie, les 30 et 31 mars 2001, les développeurs ont commencé à se rencontrer en personne. C’est à ce moment-là qu’il est apparu clairement que si les listes de diffusion sont inestimables, les relations personnelles restent vitales. Toutefois, M. Corbet craint que la politique actuelle des États-Unis en matière de visas n’entrave l’organisation de tels rassemblements à l’avenir.

Il a créé Git en 10 jours !

M. Corbet s’est ensuite intéressé à l’aspect technique du noyau Linux. Le modèle de développement du noyau Linux a connu un changement majeur. “Lors du sommet du noyau de 2004, nous avons adopté le nouveau modèle de développement du noyau. Les deux premières semaines de chaque cycle de développement sont ce qu’on appelle la fenêtre de fusion, où tout le nouveau code, les nouvelles fonctionnalités sont introduites. Puis les semaines suivantes, nous corrigeons les problèmes. Cela fonctionne suffisamment bien pour que chaque version prenne neuf ou dix semaines au total”.

À mesure que Linux prenait de l’ampleur, son processus de développement s’est heurté à des goulets d’étranglement. Le plus important d’entre eux était la dépendance de Torvalds à l’égard de l’application manuelle de chaque correctif. L’adoption de BitKeeper, un outil propriétaire de gestion du code source, a temporairement atténué ces problèmes. Mais il a introduit de nouvelles dépendances.

Puis, en avril 2005, les choses ont mal tourné. La licence BitKeeper a été brusquement retirée. “Et du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés sans l’outil logiciel sur lequel nous avions construit tout le processus de développement. Tout s’est donc arrêté. Nous étions tous assis là, à nous regarder les uns les autres, en nous disant : “Et maintenant ?” Torvalds a réagi en créant Git en 10 jours“. Ce gestionnaire de contrôle de version libre et gratuit a révolutionné non seulement le développement de Linux. Mais aussi la collaboration logicielle dans le monde entier”.

Chaque année, 4 000 à 5 000 développeurs contribuent à plus de 80 000 modifications

Cette approche, désormais utilisée par de nombreux projets, permet d’innover rapidement sans sacrifier la fiabilité. Chaque année, 4 000 à 5 000 développeurs contribuent à plus de 80 000 modifications, avec le soutien d’un large éventail d’entreprises, dont aucune ne domine le projet.

M. Corbet a également souligné l’importance d’adopter de nouvelles technologies, telles que le langage de programmation Rust, pour garantir la santé à long terme du noyau et attirer de nouveaux contributeurs. “Si vous revenez dans cinq ou dix ans”, a-t-il prédit, “vous verrez une base de sources du noyau très différente, et je pense que c’est très important pour notre durabilité”.

Source : ZDNet.com

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